Décalage horaire
Café de la danse
Festival 11
14/06/2002
298# Dans les plis du carnet : Traces de spectacle (01)
Odissi
Madhavi Mudgal
Théâtre de la Ville
24/04/2002
298# Dans les plis du carnet : Traces de spectacle (01)
Quand je vais au spectacle, j’attends impatiemment que l’obscurité descende sur la salle et que la lumière se resserre sur la scène. Alors, avec d’infinies précautions pour ne pas faire de bruit, j’ouvre mon carnet, je tâtonne pour prendre mon crayon. Le spectacle commence et en aveugle, je dessine. Je ne quitte pas la scène des yeux ; ma main écrit ce que mes yeux voient et je vois mieux. Ma main transcrit ce que mes oreilles entendent et j’entends mieux. Je reste immobile ; seules bougent ma main et de temps en temps la feuille que je tourne doucement quand je crois l’avoir remplie.
Parfois, malgré toute ma discrétion, certains voisins étonnés en oublient de regarder la représentation, essayant de discerner ce que je suis en train de fabriquer l’air de rien. Parfois, le crayon malveillant s’échappe, saleté de machin, je le cherche en vain et je suis contrainte de plonger dans mon sac pour essayer d’en trouver un autre.
Dessiner dans le noir sans voir sa feuille, en ne regardant que son sujet, devient comme une méditation, un renoncement, un voyage intérieur. Un apaisement. Une intensité.
Quand le spectacle est terminé, je ferme le carnet, je range très vite mes affaires, et j’applaudis les artistes. C’est seulement après être sortie de la salle, dans le métro ou bien chez moi, que j’ouvre le carnet pour enfin voir les dessins. Je regarde comme si ce n’était pas moi qui avais dessiné. Quelquefois le dessin est d’une justesse que je n’aurais jamais atteinte en laissant mon cerveau intervenir ; souvent ce n’est qu’un gribouillis, mais il est rythmé et plein de sens. De temps à autre, j’ai recouvert un dessin antérieur achevé dont j’avais oublié l’existence. Lorsque le dessin s’y prête, parce que mes souvenirs sont encore colorés, je le continue, je l’achève, avant d’aller dormir.
Il arrive qu’il n’y ait rien sur la feuille : le crayon n’a pas voulu tracer. Cette absence de mémoire me bouleverse.
Maguy Marin
Théâtre de la Ville
12/02/2002
Une robe pour être baptisée
Une robe pour communier
Une robe de puberté
Une robe pour se marier
Une robe pour être enterrée.
235# Dans les plis du carnet : les petites robes (01)
239# Dans les plis du carnet : les petites robes (02)
243# Dans les plis du carnet : les petites robes (03)
245# Dans les plis du carnet : les petites robes (04)
Sur les visages, l’âge de la vie
Les plis de visage écrits
Imagine le plissage du temps
Sage image du visage
la magie des rides est noire
vieux visages des sages
128# Dans les plis du carnet : visages (1)
130# Dans les plis du carnet : visages (2)
144# Dans les plis du carnet : visages (3)
146# Dans les plis du carnet : visages (4)
156# Dans les plis du carnet : visages (5)
158# Dans les plis du carnet : visages (6)
160# Dans les plis du carnet : visages (7)
Tisser c’est compter le temps. Comme Pénélope commencer et recommencer, tisser une nappe de temps, infiniment et pour l’éternité.
Tisser c’est prédire, croiser les fils du destin, lancer des filets pour attraper l’espoir, dessiner la réalité lisible pour y chercher un chemin.
Tisser c’est limiter l’espace, ordonner l’univers pour lui donner un sens, maîtriser l’entropie de la nature pour que la peur des hommes enfin s’apaise.
Tisser puis regarder le tissu chatoyant du monde, éclatant de couleurs, fait de toutes les misères humaines et du peu de la joie des fous.
Battre le temps
Comme le fer rouge
Sans perdre le rythme
Sans laisser refroidir
Muscle les bras
Et sonne la tête
1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1
Ainsi le batteur est comme un forgeron délicat qui monte les blancs en neige, une horloge qui bat et abat violemment les murs, un désespéré qui se noie, agitant les bras pour marquer la mesure dans la mer des temps.
1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1 2 3 4 / 1
Les plis du temps
Quand on vieillit, tout fait des plis, la bouche les yeux le ventre les fesses. Au fil des jours, les plis se marquent : on est tout froissé.
Le temps, ça use, ça bouscule et ça plisse. Car tous ces faux plis sont pourtant vrais : c’est la vie qui les a faits. A force d’encaisser des hauts et des bas : on devient vallonné.
Alors on prend le pli, on se fait du souci, on ne croit plus à l’avenir : on est tout chiffonné.
La vie nous plie, la vie nous fait plier, la vie nous grave au couteau notre vie sur la peau.
Le pli, c’est une cicatrice mal refermée. La matière se replie et la pensée se fronce : on est tout rabougri.
Il faudrait un fer à repasser, à repasser la vie, à repasser le temps. Plus rien ne se tend, tout se fripe. Même l’eau des yeux se ride.
Quand on vieillit on se cache dans les plis.
Il n’y a pas de ciel où le temps est perdu.
Pour lire le temps il est nécessaire de regarder le ciel.
Le temps est le ciel.
Pascal Quignard - Abîmes
Le ciel de la mer est immense. Le reflet de la mer joue dans le miroir du ciel et la couleur du ciel se verse dans l’eau de la mer. On se perd.
Dans le ciel de la mer on lit le temps. La pluie, les nuages, la tempête, tout est écrit dans les bleus de la mer et du ciel.
Dans le ciel de la mer on lit le temps. Celui qui est à venir, et que le vent pousse jusqu’à nous. Depuis la nuit des temps, on sait que les prédictions se déchiffrent dans les vols des oiseaux au bord de l’horizon.
Le ciel de la mer est immense. Il y a de la place pour tous les rêves.
Dans les carnets il y a des collisions. Des collisions de choses et des collisions de temps. Des accrochages temporels.
Ces mouettes, je les ai dessinées devant un tableau de Lapicque, assise par terre dans les allées du musée des beaux arts de Dijon avec mon amie-sœur Christine, que j’ai perdue depuis, comme tant d’amours précieuses. J’avais peut-être 15 ans.
J’ai gardé longtemps ce dessin en souvenir, et pour ne pas le perdre davantage, je l’ai cousu dans un carnet. Et puis un jour de décembre, Mathieu joue imprudemment de la batterie devant moi, et par le hasard des pages ouvertes, se retrouve emporté sur les ailes de ces mouettes qui ont presque son âge.
Tant d’années de vie entre ces deux dessins que relient le carnet et la trace du pinceau.
Ca fait rire Mathieu, qui aurait préféré des canards.
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