Quand je vais au spectacle, j’attends impatiemment que l’obscurité descende sur la salle et que la lumière se resserre sur la scène. Alors, avec d’infinies précautions pour ne pas faire de bruit, j’ouvre mon carnet, je tâtonne pour prendre mon crayon. Le spectacle commence et en aveugle, je dessine. Je ne quitte pas la scène des yeux ; ma main écrit ce que mes yeux voient et je vois mieux. Ma main transcrit ce que mes oreilles entendent et j’entends mieux. Je reste immobile ; seules bougent ma main et de temps en temps la feuille que je tourne doucement quand je crois l’avoir remplie.
Parfois, malgré toute ma discrétion, certains voisins étonnés en oublient de regarder la représentation, essayant de discerner ce que je suis en train de fabriquer l’air de rien. Parfois, le crayon malveillant s’échappe, saleté de machin, je le cherche en vain et je suis contrainte de plonger dans mon sac pour essayer d’en trouver un autre.
Dessiner dans le noir sans voir sa feuille, en ne regardant que son sujet, devient comme une méditation, un renoncement, un voyage intérieur. Un apaisement. Une intensité.
Quand le spectacle est terminé, je ferme le carnet, je range très vite mes affaires, et j’applaudis les artistes. C’est seulement après être sortie de la salle, dans le métro ou bien chez moi, que j’ouvre le carnet pour enfin voir les dessins. Je regarde comme si ce n’était pas moi qui avais dessiné. Quelquefois le dessin est d’une justesse que je n’aurais jamais atteinte en laissant mon cerveau intervenir ; souvent ce n’est qu’un gribouillis, mais il est rythmé et plein de sens. De temps à autre, j’ai recouvert un dessin antérieur achevé dont j’avais oublié l’existence. Lorsque le dessin s’y prête, parce que mes souvenirs sont encore colorés, je le continue, je l’achève, avant d’aller dormir.
Il arrive qu’il n’y ait rien sur la feuille : le crayon n’a pas voulu tracer. Cette absence de mémoire me bouleverse.
Maguy Marin
Théâtre de la Ville
12/02/2002