Impressions d'une plaque cousue sur papiers marouflés sur toile
Série de 4 toiles
Les plis de l’accroupie
L’enchiffonnée rose est une petite femme accroupie sur ses talons. Elle se repose.
Imprégnée d’encre, elle laisse sur le papier l'empreinte délicate d’une rose. Elle est ouverte entre ses pétales, son cœur offert et son sexe à nu, tranquille.
Elle est là, pas tout-à-fait présente - rien que la poésie d'une trace, presque une disparition.
Les enchiffonnés sont difficiles à imprimer. Ils se gorgent de peinture et produisent des tâches informes. Il faut en extirper les signes avec pugnacité.
Mais fourrés de bourre et cousus de fils serrés, ils expriment mieux le pli de la chair que le trait. Le pli devient un rai de lumière, un passage vers un vide blanc, comme une absence. La fente éblouissante ouvre à l'en-deçà de la surface. Le corps n’apparaît plus qu’en ses renflements, comme s’écrasent les lèvres d’un baiser.
Car le pli est un creux qui ne saurait exister dans l’espace d’une feuille plane.
J'essaie de dire le creux du pli.
Le miroir du matin
J’y vois l’ombre portée, l’écho de ma figure, sa représentation virtuelle inversée, le négatif de ma photographie. Le miroir est un moule de ma face (dirait Marcel Duchamp).
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Le portrait photographique
Mon visage vit et bouge constamment. La photo est une saisie ultra rapide de ce mouvement, qu’elle arrête brutalement : l’instantané en démultipliant les phases du mouvement dilate l’espace et ralentit le temps.
Alors la photo attrape des particules de vitesse, et fait surgir des hasards. Elle montre des visages étrangers, des portraits déformés, des images inacceptables. Ce sont des passages inconnus entre deux états connus, des collisions de mouvements contraires, des temps interstitiels, des apparences insaisissables que le cerveau occulte. Une fois immobilisés, ils deviennent obstinément visibles.
apercevoir déceler deviner distinguer entrevoir percevoir saisir sentir - intervalle suspension entre-temps intersection discontinuité interstice rupture interception intermittence entre inframince coupe axiale - mouvement glissement déformation altération anamorphose bosselure gauchissement distorsion reflux remous tangage cahotement pulsation turbulences évolution
Le temps est une quatrième dimension.
La photo le fragmente en éclats de miroir.
Les masques
« De semblables visages, j’en ai fais souvent moi-même. Ceux qui les gravent vont d’emblée aux signes. Deux trous, c’est le signe du visage, suffisant pour l’évoquer sans le représenter… Mais n’est-ce pas étrange qu’on puisse le faire par des moyens aussi simples ? Deux trous, c’est bien abstrait si l’on songe à la complexité de l’homme… Ce qui est le plus abstrait est peut-être le comble de la réalité… »
Picasso devant les photos de graffitis de Brassaï (1960).
Le portrait pictural
Le tableau est l’apparition d’une apparence.
Contrairement à la photo, la peinture apporte le tactile, qui parle à la mémoire enfouie, creuse jusqu’aux souvenirs perdus et titille l’inconscient. Alors il éternue.
La peinture est un travail de peaussier.
Les aperçus miroiriques ne peuvent être que des autoportraits.
décapuchonner débrailler déchirer défubler décolleter dénuder dévêtir déshabiller exposer dépecer dépiauter peler écorcher disséquer désosser éplucher anatomiser
[ tous les portraits de la série Aperçus miroiriques sont visibles dans l'album photo du même nom situé à droite de l'écran ]
Les robes de la collection printemps 2008 sont imprimées sur papier chinois, à partir d’une petite robe en gaze teinte d’encre de chine [photo ci-dessus]. Elles sont ensuite marouflées sur toile de lin et coton, parfois même sur la chaux des murs nus, enveloppées de papier de soie ou vieillies de jus d’encre, parfumées au thé ou fleuries de rose, frottées d’ombre de fusain ou transpercées de lumière, caressées par la douceur des plumes, tâchées de pleurs et de coulures d’amour, voilées comme une mariée, décolletées comme une putain, arachnéennes sous la pluie, le soleil et la lune.
Nouées mais ouvertes, dansantes ou nuageuses, fragiles et intemporelles, elles vibrent et vivent et frissonnent et puis s’usent, gardant la trace chaude du corps qui les a habité avant de disparaître.
Parce que ce sont des robes d’amoureuses, dans leur sillage flottent les mots de Marguerite Duras (la maladie de la mort).
[ toutes les robes de la collection sont rangées dans l'album photo correspondant ; vous le trouverez à droite de l'écran]
Les Plumes et les Elles sont issues d’impressions sur papier chinois marouflées sur toile. Ces impressions uniques – ou monotypes – sont faites, dans le cas des Plumes, à partir d’une plume d’oie enduite d’encre de Chine ou de peinture acrylique, et pressée sur le papier. Les Elles sont tirées d’une plaque de carton plastifié sur laquelle un fil cousu dessine la ligne. Elles sont ensuite habillées de pièces de tissu imprégnées de couleur et appliquées sur leur corps. Dans chaque carré de quatre Elles, une partie différente du corps de chacune est ainsi « impressionnée ».
Une seule Elle est restée nue.
Imprimer, c’est coller puis décoller, unir puis séparer deux corps. La matière se partage entre les deux, comme entre les amants, entre la mère et l’enfant. Chacun laisse des bouts de soi à l’autre. Des deux côtés - la plaque originale et le papier imprimé - il y a une beauté, à la fois identique et différente. L’une regarde l’autre dans un miroir et inversement. On peut faire plusieurs passages, mais le support finit par s’user, il tombe en lambeaux, comme le cœur et le corps.
Imprimer, comme faire l’amour ou enfanter, c’est laisser la matière créer. Puis à un moment donné, prendre une décision.
Les Plumes et les Elles sont nées dans mes carnets quotidiens. Elles étaient accompagnées des textes que je lisais au moment de leur apparition. Je ne sais qui des mots ou des images a généré l’autre, et j’ai gardé les mots de Patrick Chamoiseau (Biblique des derniers gestes) et de Jean Genet (Notre-Dame des Fleurs) sur la toile.
[les tableaux de cette série sont visibles dans l'album photo correspondant situé à droite de l'écran]
La série Horizon est issue d’une recherche sur le paysage et sa dimension humaine.
Le paysage : ce serait étaler des couches de matière, les croiser comme on tisse la trame de la terre et la chaîne du ciel, pour dessiner la croix qui marque la place de l’homme dans l’espace.
Ce serait gratter, racler la matière, pour retrouver le dessous, explorer les stratifications du temps, creuser le ventre de la terre et toucher à l’embryon du monde, un travail d’archéologue.
Ce serait écrire le geste de l’herbe, peindre le pourrissement des corps qui nourrissent le sol, les âmes qui colorent le ciel, la peau de sable, les cheveux d’horizon, la poussière et l’humide, le creux et le jaillissement organiques, l’ombre qui se couche et la lumière qui luit tout au fond.
Entre le ciel et la terre, où est l’homme ? Un petit point perdu dans l’immensité ou toute la matière étendue ?
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