Au corps ficelé d'angoisse.
Au corps ficelé d'angoisse.
Ce que le cerveau angoissé fait au corps.
Longtemps je suis restée sans voix
devant l’injustice de la vie, la méchanceté des gens,
la jalousie, l’envie, le mensonge, la bêtise.
Longtemps je suis restée sans conscience.
Et puis un jour maudit
hélas j’ai compris.
Depuis j’ai au ventre un noyau dur de colère noire
que la vie se charge chaque jour d’attiser.
Madame Grès
exposition au Musée Bourdelle
2011
388# Dans les plis du carnet : Madame Grès (1)
389# Dans les plis du carnet : Madame Grès (2)
Madame Grès
le pli gravé
le pli sculpté
souple et rigide
antique
intemporel
le pli du vêtement des dieux
et des nappes d’autel
sur le corps des femmes
droites et pures comme les statues.
Madame Grès
exposition au Musée Bourdelle
2011
trois petites robes noires
une
deux
trois
et une petite robe blanche
se promenaient dans les bois.
lalala
Que pensez-vous qu’il arriva ?
Quelle est celle que le loup mangea ?
235# Dans les plis du carnet : les petites robes (01)
239# Dans les plis du carnet : les petites robes (02)
243# Dans les plis du carnet : les petites robes (03)
La colonne vertébrale
C’était la ligne d’horizon.
Avec le temps, bascule
l’aiguille du quart à l’heure pile.
Elle est devenue colonne :
une échelle entre ciel et terre.
La colonne vertébrale
n’est jamais toute droite
bien sûr
elle serpente à travers les âges
elle s’enroule comme un escargot
elle ondule entre épaules et reins
elle se tord d’émotion
elle se replie de peur
elle se fige de crainte de tomber
elle chemine entre vie et mort.
Joli collier de perles d’os
déroulé articulé cliquetant
calibré suspendu dansant
parure cachée de la beauté du corps
en transparence sous le voile des robes.
150# Dans les plis du carnet : ode à l'os (1)
152# Dans les plis du carnet : ode à l'os (2)
154# Dans les plis du carnet : ode à l'os (3)
La matrice est rouge
L’intérieur est rouge, dissimulé, entrouvert, filtrant une lueur chaude
Le cœur est rouge
Mais
A l’extérieur le rouge est dangereux, qui ruisselle en sang versé
Qui brûle en lave ardente
Dans le secret du rouge,
le ventre digère et génère,
l’alchimie transmute la matière,
la vie et la mort en fusion se transforment l’une en l’autre
infiniment :
c’est l’œuvre au rouge.
Le rouge, comme un fruit mûr.
191# Dans les plis du carnet : Rouge Chine (1)
193# Dans les plis du carnet : Rouge Chine (2)
197# Dans les plis du carnet : Rouge Chine (3)
Les femmes s’embouillonnent dans les froissures.
Les hommes s’escargotent dans les godets.
Au fil des siècles, le tissu est froncé, plié, ourlé, ondulé pour se montrer, se cacher, se transformer, mentir et révéler. Le corps est enserré de pinces, les bras couverts de saignées, le torse percé de crevés, le cou étranglé de godrons.
Autour du corps, les plis exigeants des vêtements pour devenir humain…
… mais des poches aussi, pour garder les secrets des singes.
Vis-à-vis du visage, il y a
le sage mirage des miroirs.
Mais sous la surface, la face
cachée de la figure…
… coule
dans les reflets de l’eau.
Flotte le masque.
Qui son visage farde à son cul pense
Proverbe indien
Tête de lit, tête de linotte ;
Tête à tête puis tête-à-queue ;
Perdre la tête tête-bêche ;
Tête de mort
La peau du visage est celle qui reste la plus nue, la plus dénuée. La plus nue, bien que d'une nudité décente. La plus dénuée aussi : il y a dans le visage une pauvreté essentielle ; la preuve est qu'on essaie de masquer cette pauvreté en se donnant des poses, une contenance.
Emmanuel Levinas, Ethique et infini, Fayard, 1982, p.90
Cette peau nue des visages,
offerte, impudique,
la pornographie des visages,
les lèvres ouvertes, le nez dressé,
tous les sens naissent au visage.
pourquoi ne détournez-vous pas le regard
vous qui craignez de baisser les yeux sur le corps nu
car tout est déjà inscrit sur le visage,
tout est cru.
Le bassin
Comme un bol sans fond,
Le bassin laisse passer le temps,
laisse couler les eaux
laisse entrer et sortir :
une porte
un passage interdit vers le paradis.
Entre l’intérieur et l’extérieur, le bassin ouvert
comme une bouche sans voix
Dans le bassin, se baigner,
Entre ses ailes, se lover.
Un jour parce que le bassin a basculé s’est dressé l’homme.
Si fort qu’il porte l’humain de l’homme,
le bassin : un socle une terre un piédestal.
Une coupe à pieds qui marche sur la table.
L’homme est un panier percé.
La cage thoracique
La courbe en répétition parallèle
autour du cœur,
autour du battement du temps.
Circonvolutions elliptiques du mou,
arc de protection de l’étincelle de vie,
pour maintenir le feu sacré
des tendres poumons.
Comme les doigts d’un dieu autour du torse de l’homme
qui tiennent retiennent ou qui broient.
Enfermement des craintes
dans la prison-thorax,
et gonflement d’orgueil tendu.
Je suis le grand gorille
à la large poitrine.
La cage thoracique
comme un tambour pour annoncer l’orage,
comme un moucharabieh pour entrevoir le monde,
comme une cuillère à spaghetti pour dire n’importe quoi,
comme une cachette pour garder ses angoisses
au chaud.
Ouvrez donc la cage aux oiseaux ;
laissez s’envoler les peurs
ailleurs.
Les 7 dernières pages sont des dessins réalisés à partir des sculptures-membranes de Tïa Calli Borlase.
150# Dans les plis du carnet : ode à l'os (1)
A cause de cela, (…) je voudrais être l’os (…).
Hervé Guibert
Le mausolée des amants
Le dimanche suivant arriva en effet Rebecca.
Elle n’avait pas dépassé onze ans. (…)
Pour tous bagages, elle avait une mallette d’effets personnels,
un petit fauteuil à bascule en bois décoré à la main de petites fleurs multicolores,
et une sorte de sacoche en toile goudronnée
qui faisait un bruit continuel de cloc-cloc-cloc,
dans lequel elle transportait les ossements de ses parents.
Gabriel Garcia Marquez
Cent ans de solitude
Les os
Les eaux
- ce qui reste de nous
après nous
des os
des mots
- ce qui nous porte
C’est l’immortel, le pur, le blanc
malgré les couleurs de peau, les mêmes os pâles
deux cent six os posés en souvenir de nous
dans un point du cosmos
L’os dur au creux du mou,
la charpente, les piliers de la tente
Et pourtant la souplesse des os
tordus
par la vrille des émotions
bossus
sous le poids des regrets
L’os a un cœur d’éponge sous une écorce d’arbre,
il sèche de vieillesse sans amour,
il se brise d’un instant de désespérance,
il tresse la dentelle fragile de l’ostéroporose
qui orne le squelette des aériennes
Osselet se cache dans la carcasse
Mais sous la peau l’os ose un signe
ostensible
La première chose de l’intérieur
que l’homme vit de lui
quand il gratta jusqu’à l’os ;
il cherchait la raison de son malheur sur Terre :
il tomba sur un os.
L’origine et la fin :
en poussière d’os
tombent les sourires éternels des crânes.
Spirale de galaxie dans le crâne,
Le cerveau flotte sur l’océan.
La terre est ronde comme une tête.
Pique des étoiles à mes cheveux.
Pic et pic et pic
… et le bleu des yeux déborde.
Après 40 ans une femme doit choisir entre sa silhouette et son visage. Choisissez le visage et restez assise !
Barbara Cartland
Visible est le visage
Il s’avance tout nu
Dépourvu de tout
Fragile il se défend
se compose, se maquille,
se gomme, s’épile,
se fond-de-teintise,
se retend, se défrippe,
se trafique, se chirurgique,
se lifte, se tartine,
se voile, se masque,
s’UVéise, se socialise.
finalement, plus que tout le corps, il ment.
Heureusement.
128# Dans les plis du carnet : visages (1)
Le visage est l’élément essentiel de l’identité, l’expression de l’émotion, le siège des sens. Et pourtant, jamais un être ne voit son visage directement.
Et comme les photos sont menteuses, il doit faire confiance aux miroirs.
Il cherche son reflet dans le regard des autres. Pour se voir, pour se connaître, il se jette, il se projette autour de lui.
Il lui faut se pencher sur les eaux sombres, celles qu’il est dangereux de réveiller, au risque de ne pas se reconnaître.
Car on regarde moins son visage qu'on ne l'imagine.
Les plis du corps
Le pli se forme à l’intime du corps, au plus secret, au plus profond de l’être.
Le corps se plisse quand on enlace, quand on s’enroule, quand on se cache, quand on s’endort.
Les plis du corps ourlent l’obscur et l’inconnu.
Toutes ces bouches louches qui bavent et murmurent. Qui avalent et crachent le bonheur et la merde, indifféremment l’un l’autre, avidement.
Ouvrir les plis du corps, c’est presque toucher l’âme, sentir sa chaleur et son odeur. Par eux respire l’intérieur intouché du vivant. Par eux s’opère l’enfoncement dans l’enveloppement du corps comme une ingestion originelle.
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