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17 mars 2009 2 17 /03 /mars /2009 21:26





Dans le palais d’Udaipur ou dans celui de Jaipur, peut-être à Mehrangarh la forteresse de Jodhpur, je regardais des miniatures mogoles du dix-huitième siècle. S’y promenaient de profil de belles femmes à la peau claire, l’œil alangui bordé de longs cils, le nez fort et droit, l’oreille bien découpée, les cheveux longs et noirs soigneusement coiffés, une mèche ondulant avec mesure sur la tempe. Seules la couleur de la toilette et la position des membres permettaient de les distinguer les unes des autres. J’observais cette société délicate inventer des procédés raffinés pour passer le temps.

 



Puis je lève mon nez ni droit ni fort de sous mes cheveux décoiffés, balaye la salle de mes yeux si normaux qu’ils sont deux, et j’ai un choc car je vois devant moi en chair et en os, le modèle même de ces femmes de papier. A tel point qu’elle se présente de profil. La même peau, le même œil, le même nez, la même oreille, les mêmes cheveux, la même mèche. La seule différence est qu'au lieu d'un sari, elle porte un costume indien moderne, des sandales à talon dorées et un sac à main en bandoulière.

 



Jeune fille du vingt et unième siècle, elle incarnait un canon de beauté de trois siècles passés. La vie avait transmis dans ses gènes la beauté ancestrale des femmes de sa race et elle devenait dépositaire de cet héritage unique. Elle appartenait de tout son corps à son pays et à son histoire. Elle portait au front l’identité précieuse de son peuple.

Sentait-elle ce poids ?





2 mars 2009 1 02 /03 /mars /2009 15:02



Les touristes indiens

 




Au Fort Rouge de New Delhi, je m’assois sur un beau marbre blanc et je les regarde. Ils arrivent toujours en groupe, rarement en couple, jamais seul. Les femmes sont chatoyantes, les jeunes portent des jeans, les parents sont tout ronds. Ils déboulent dans un lieu, rieurs et bruyants, investissent tout l’espace en quelques secondes, se prennent mutuellement en photo devant le plus joli jardin, la plus remarquable peinture murale, la plus belle perspective – que masque le modèle fier et souriant -, puis repartent aussi vite qu’ils sont arrivés. De leur passage il ne reste rien qu’une vague agitation de l’air, un papier jeté sur le sol, un brouhaha décroissant. La poussière retombe.






Ils semblent ne regarder autour d’eux que pour trouver le meilleur endroit où prendre leur femme, leur famille, leurs copains en photo. Ils ne prennent aucune photo sans mettre devant leur femme, leur famille, leurs copains. Ils se suivent tous au même rythme soutenu sans jamais s’écarter de leur femme, leur famille, leurs copains. Ils sont joyeux, se foutent complètement du silence propice à la méditation, s’en vont vers l’avenir en mâchant du chewing gum et en buvant du pepsi, sans regret.


Moi qui n’ai plus ni certitudes ni objectifs, qui avance sans savoir où je vais, en me demandant même parfois si ça vaut la peine d’avancer, je m’arrête et je les regarde. Je peux les regarder pendant des heures, passer par vagues. Par toute cette joie, pour toute cette force inconsciente de vie, ils me fascinent.


 



23 février 2009 1 23 /02 /février /2009 13:08

La déesse Electricity




Généralement en Asie, les poteaux électriques sont de véritables sculptures. Le Rajasthan a les siennes, remarquables. Chaque fil retrouve son chemin et rien n’explose. Aucune photo n’est possible sans que des fils électriques n’en découpent l’espace. Choqué, le cerveau les occulte, on ne les voit plus, et pourtant c’est beau. Quand tous les fils se rejoignent, ils forment des arbres comme des banians, aux multiples racines aériennes, qui s’élancent à la conquête du monde et partent fonder ailleurs d’autres arbres semblables. Ils tracent des courbes le long des murs, s’enchevêtrent en gribouillis, se nouent, se dénudent, se dédoublent, entrent par une fenêtre, sortent par une porte, se pendent par paquet, s’arrêtent brutalement. Ces connections électriques feraient trembler n'importe quel électricien occidental. Et pourtant les néons s’allument.

 

Dans ces beaux arbres électriques, l’entropie de la matière absorbe la logique scientifique. Goulûment.



16 février 2009 1 16 /02 /février /2009 12:27



Les chèvres du Rajasthan sont espiègles. Elles ont de longues oreilles pendantes comme des bijoux qu'elles agitent en coquettes. Lorsqu'elles gambadent, leurs oreilles les suivent en flottant dans l'air. Ca leur donne un air de princesse à cheval.




Comme tous les chèvres du monde, elles sont gourmandes et curieuses, et marchent sur la pointe de leurs hautes pattes d'un air de rien, en remuant la queue.



2 février 2009 1 02 /02 /février /2009 14:23

Nous logeons à Old Delhi. Le taxi qui nous récupère à l’aéroport n’a pas l’air du tout de trouver ça drôle. De fait nous comprendrons très vite que ce quartier est impraticable, même à pied, quelle que soit l’heure. Il déborde d’activité. La rue change tous les jours. Un monde fou circule de toutes les manières qu’il soit et le plus vite possible. C’est gai, bruyant, parfumé, coloré, pollué, vivant.





Un soir nous rentrons tard dans un rickshaw. Et dans la nuit grisâtre, éclairée de hasards, dans la poussière qui monte comme une brume, un autre monde apparaît, incroyable, irréel. La rue silencieuse est envahie de camions, voitures, carrioles, rickshaw remplis à ras bord de tonnes de marchandises en sacs de toile. Des porteurs les déchargent sur leurs épaules, accumulant des monticules de sacs impressionnants. Ils tirent des charrettes plus hautes qu’eux. Les corps sont tendus, forts et nerveux, si fins qu’on voit chaque muscle ; il y a tant de peine et de sueur, que des hommes qui portent lourd et travaillent dur, pas une seule machine pour les seconder. Aucune parole prononcée, si peu de bruits, quelques onomatopées échappées et des respirations profondes d’effort. Les gestes sont précis et efficaces. Tous ces mouvements s’effectuent sans heurt. Les hommes si chargés glissent comme des danseurs. On dirait un ballet muet.

 



Le travail et la peine humaine valent si peu de chose ici.




 

26 janvier 2009 1 26 /01 /janvier /2009 14:06

L’entrée du Taj Mahal est scandaleusement chère. Comme le dit notre ami le vieil Indien de l’agence du coin, comment peut-on tant désirer voir un tombeau, visiter la mort ? Malgré cela, la queue est longue à toutes les portes du Taj.





Courageusement, j’accompagne Guillaume, qui ne l’a jamais vu. Il est tôt et la queue est raisonnable. Nous achetons nos places, puis nous suivons chacun notre file sexuelle. Les sacs sont fouillés, les corps aussi. Le guide nous a clairement averti de la longue liste des objets interdits, mais Guillaume a oublié de retirer une petite chaîne en aluminium avec laquelle il est susceptible de causer des dommages irréparables. Le voilà donc reparti à l’hôtel à côté pour l’y déposer.





Pendant ce temps, mon tour arrive et la jeune femme chargée de me tâter, découvre dans mon sac : un carnet, une trousse de crayons, une boîte de pastels, une boîte d’aquarelle et même une petite bouteille en plastique d’eau de couleur douteuse. Brusquement je tombe de mon nuage et subodore une complication. J’explique que je suis artiste, je montre des exemples dans mon carnet, elle me regarde bien embêtée. Elle m’explique que je ne peux pas entrer avec mes affaires. J’insiste, il ne s’agit pas d’un appareil photo ni d’une caméra, et ce matériel est inoffensif. Non ce n’est pas possible. Très bien, alors je n’entre pas.




Et là, se passe une chose qu’il ne peut se passer qu’en Inde : il n’est pas concevable que je ne visite pas le Taj. Mon interlocutrice est visiblement ébranlée. Elle fait venir le grand chef de la sécurité, un vieux militaire coincé comme un manche à balai dont je comprends très vite qu’il va faire des prouesses pour bloquer la situation. Alors elle a une idée qu’elle me confie avec les yeux brillants de qui va enfin résoudre un problème important : je laisse mon matériel à l’entrée, je visite le Taj, et en sortant, j’achète une jolie reproduction.

Je ne ris pas car je reconnais là l’Inde et pour cela aussi je l’aime. Mais bon, ça ne va pas être possible et malgré une seconde intervention toute aussi efficace du pépé militaire, je sors de la file et entreprends de retourner à la caisse pour me faire rembourser la fortune que représente mon ticket d’entrée.





C’est à ce moment que j’arrête de rigoler. Car la caisse refuse de me rembourser, les militaires refusent de me laisser entrer, aucune des deux parties ne veut dialoguer, et la moutarde me monte au nez. Quand Guillaume revient, il me trouve fort énervée, en train de fulminer devant deux têtes de bois, entourée d’un groupe croissant de spectateurs passionnés par l’issue de l’histoire, les premiers arrivés racontant la trame dramatique aux retardataires. Par solidarité avec les artistes, il refuse d’entrer à son tour et la situation se complexifie : il faut rembourser deux tickets.

Et c’est encore l’Inde, quand brusquement sort d’on ne sait où un gentil Indien tout soucieux de me voir mécontente, qui n’a de cesse de comprendre la situation puis de trouver une solution. Il se met en quatre et lorsqu’il revient avec le remboursement, il a aux lèvres un sourire heureux qui me fait sourire.





Ami soyez remercié de votre amabilité.

20 janvier 2009 2 20 /01 /janvier /2009 19:24


Faire l’amour en Inde, au berceau du kamasutra, dans les chambres des hôtels de « catégorie bon marché » selon la classification du guide, entre les rideaux trop courts et les portes mal jointes, sous la lumière romantique des néons, au chant des télévisions populaires.

 

Tu étends avec soin ton drap blanc sur le lit douteux pour qu’on s’y couche.

 



Les gravures du kamasutra t’étonnent ; tu ignorais toutes ses possibilités.

Mais quel est le plus surprenant ? L’architecture compliquée des acrobaties ? ou l’impassibilité de tous ses corps emmêlés, ces sourires tranquilles que rien ne chavire, ces grands yeux qui ne se ferment pas sur le mystère ?

Dans les havelis, derrière les portes des espaces intermédiaires, là où les mondes des hommes et des femmes se touchent, je découvre des peintures érotiques bien dissimulées. Les visiteurs ne les voient pas, les guides n’en parlent pas.

Dans les temples je cherche les sculptures où les corps se pénètrent. Elles sont usées d’avoir été trop caressées.

 



Je te dis que le sexe est au centre du corps comme au centre du monde. Ton rire éclaire la nuit. Ancrés l’un à l’autre, nous tombons du ciel comme les oiseaux.





18 janvier 2009 7 18 /01 /janvier /2009 11:50

Tu délires mon amour, couché sur le sol crasseux de la gare de Jodhpur. Tes vêtements en ont pris la couleur. Tu brûles sous mes paumes. Tu es fragile comme un petit. Tu veux retourner à la maison, et on se dirige au fin fond du désert, après lequel il n’y a plus rien.

Je fais pour toi les gestes que je n’ai jamais faits. Je prends soin de toi comme on a pris soin de moi, il y a longtemps, sur ce même chemin.




Je comprends comme j’étais jeune et comme j’ai vieilli. Comme aimer, c’est déjà accepter de mourir.

 



L’Inde c’est dur et doux à la fois.


9 janvier 2009 5 09 /01 /janvier /2009 10:33



Je suis partie avec un carnet et sans appareil photo. Je regarde tous ces touristes qui photographient ce qu’ils cherchent désespérément à retenir. On dirait qu’ils finissent par ne plus voir qu’à travers leur objectif. Moi je sens que ces moments coulent entre mes doigts ; je sens comme je perds la vie en la vivant ; le petit peu qui reste quand la vague se retire couvre mon corps de velours et me laisse un goût de vanille.

 



En revenant en France, je reprends les photos de 1992. A cette époque je faisais des photos, mais ce qui m’a sauvée c’est l’appareil bon marché, gagné dans une station quelconque, que mon frère m’avait donné. Toutes les photos sont ratées, grises et mal cadrées. Elles sont restées dans les pochettes, baladées de déménagement en déménagement. Jamais jetées. Jamais montrées. Je suis vraiment la seule à pouvoir y retrouver le rêve et l’éblouissement.

 



Je décide de les repeindre. Je cherche le rêve qui n’existe plus. Ces hommes et ces femmes qui ont croisé ma route, que sont-ils devenus ? Ces lieux ont tous changé bien sûr, en tant d’années. Plongée dans ces petites images, qui évoluent sous mes crayons, mes couleurs, et reprennent vie, j’entre dans l’espace immense de ma mémoire, je voyage dans le temps de mon passé, je vais si loin que je me perds et tombe au fond d’un gouffre. J’y retrouve mes souvenirs perdus, mes espoirs évaporés, ma beauté et ma gourmandise. Surgit une réalité qui n’était pas encore née.

Mon inconscient remue et grogne.

 



L’Inde toujours me bouleverse, sens dessus dessous. Je retombe sur mes pieds, déboussolée. Puis je regarde le monde comme une illuminée.

 

 

 

3 janvier 2009 6 03 /01 /janvier /2009 18:30



1992

J’arrive en Asie pour la première fois, Inde, Rajasthan.

Si j’avais pu, je serais repartie en Europe dans la semaine.

La chaleur la poussière le bruit la puanteur la saleté le dénuement les estropiés : la nausée constamment.

Et pourtant,

plus jamais la vie n’a pu être comme avant. Heureusement.

L’Inde est la première chose au monde qui m’ait paru réelle. Par l’Inde j’ai appris que l’existence pouvait avoir un sens. Et même que l’on pouvait choisir de la vivre.



 

2006

Bien d’autres voyages ont passé, je suis revenue au Rajasthan après quatorze années d’absence.

Bien sûr, les monuments, les sites, les villes sont toujours là. Mais.



 

Ce qui était magique et vivant

Ce qui était vécu naturellement

Ce qui tombait en ruine sans jamais tomber

Ce qui mettait la vie des promeneurs en danger

Ce qui était plongé dans le silence

Ce qui était vrai,

 

A tant été visité regardé photographié

Que tout est usé de vérité

Et réparé organisé modernisé sécurisé

Expliqué sonorisé préservé conservé

De plus en plus touristiqué

muséifié momifié.



 

C’est mieux pour le patrimoine mondial, la tranquillité des touristes et l’économie indienne.

 



A Kumbalgarh, le fort et les temples étaient perdus dans la nature. On découvrait des trésors comme abandonnés. Il y avait une toute petite échoppe bleue où un Indien faisait du chaï pour les villageois.

Aujourd’hui, à Kumbalgarh, on vous donne un dépliant. Il y a un chemin balayé bordé de lampes (toutes pareilles), du gazon arrosé et une demi-douzaine de guides qui vous attend de pied ferme. Les temples sont restaurés et la petite échoppe devenue magasin vend toutes sortes de marchandises indispensables à la survie du touriste.



 

Au lac de Jaisalmer, les femmes venaient chercher l’eau, au soir tombant. Elles avançaient l’une derrière l’autre en portant leurs vases sur la tête. Elles étaient comme toujours brillantes et parées. Elles avaient aux chevilles de gros anneaux dorés.

Aujourd’hui, au lac de Jaisalmer, il y a toujours de l’eau. C’est pour les pédalos et les gondoles, comme à Venise.



 

C’est toujours l’Inde cependant. Qui digère ce qu’elle prend à l’Occident, recuisine les choses à sa sauce. Evolue si vite parfois et si peu par ailleurs. C’est ainsi.



 

Juste, il y avait au monde des choses qui un jour m’ont émerveillée, réveillée, peut-être sauvée, et qui n’existent plus. Comme les souvenirs d’enfance elles sont enfouies dans la mémoire. Et quand la mémoire disparaît, se peut-il qu’il ne reste rien ?




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