Pour traverser Boavista en 2005, on pouvait louer un scooter. Nous sommes partis à l’aventure sur un petit scooter déjà fatigué, le « meilleur » élément du loueur évidemment, avec une bouteille en plastique remplie d’essence parce que le réservoir était insuffisant pour revenir et qu’il n’y a pas de pompes à essence dans le désert. S’il y avait un quelconque problème, il suffisait d’appeler le loueur et il viendrait nous chercher, foi de loueur.
On ne peut pas dire de ce scooter qu’il était puissant, silencieux, ni surtout confortable pour le passager arrière, mais bon au début il roulait.
Il nous a bien fait un caprice pour repartir lors d’un arrêt à aller, mais il s’est ravisé.
Quand on a repris le chemin du retour, il était tard parce la plage était belle, le soir doucement tombait, et conduire dans un noir inconnu c’est un peu compliqué (évidemment il n’y a pas d’éclairage public). On allait aussi vite que possible. Au milieu d’une route droite filant à l’horizon à perte de vue, dans le désert gris et la solitude totale d’une nature hostile, taratata, le scooter décida brusquement de s’arrêter (on a failli se casser la figure), puis de ne plus redémarrer.
C’était peut-être pour nous dire quelque chose mais on n’avait pas le temps d’y réfléchir. Au bout de 20 minutes d’essai à manoeuvrer le kik, la poignée, la clef, le machin, etc, Guillaume prend son portable pour appeler Super-Loueur : pas de réseau.
La nuit tombait pour de bon et il restait quand même un certain nombre de kilomètres à parcourir avant de retrouver Sal Rei. On s’acharna encore 30 minutes sur l’engin en vain. Nos rapports avec le scooter n’étaient plus du tout cordiaux. Alors qu’on essayait encore une dernière fois de redémarrer cette saleté de mécanique avant de se résoudre à continuer à pied, le moteur se réveilla. On se précipita à deux sur la poignée pour maintenir l’étincelle, on peut dire que la machine a rugi. On a sauté dessus et on est reparti sans jamais lui laisser le temps de reprendre son souffle avant la fin.
Deux ans plus tard, louer un scooter relevait de la gageure. Il était possible de louer toutes sortes de voitures mais pas un scooter. Bien sûr ce n’est pas le même prix et on n’avait plus d’argent pour des raisons que je vous raconterai peut-être un jour. Sortant d’une agence qui nous assurait que plus aucun loueur ne proposait de scooter à Sal Rei, on s’assoit découragés sur un banc de la place principale. Soudain Guillaume bondit et se met à courir derrière… un scooter et deux touristes qui s’arrêtaient sur la place. Il existait ainsi un loueur de scooters que les deux touristes nous indiquèrent deux rues plus loin, faut dire que Sal Rei c’est quand même deux mille habitants à tout casser, on ne peut pas connaître tous les magasins…
On refit donc le périple pour revoir cette plage déserte de l’autre côté de l’île : la route qui mène au paradis. C’est bizarre me dit Guillaume en partant, tu te souviens, la fois précédente on nous avait donné une bouteille d’essence, et là non, peut-être que le réservoir du scooter est plus important, c’est un modèle plus récent. Peut-être que oui, peut-être que non.
Sur la route, Guillaume surveillait la jauge à essence et en bon gérant prudent et organisé, décida d’arrêter le scooter au milieu du réservoir : comme on n’était pas arrivé, on finit le chemin à pied. Je ronchonnais un peu mais c’était de la pla-ni-fi-ca-tion.
Mais c’est mal connaître les machines que d’imaginer qu’on peut les maîtriser. Elles ont pour elles le hasard et l’inépuisable incertitude d’un monde matériel imparfait. Bref au retour, la jauge se mit à descendre deux fois plus vite sur la deuxième moitié du cadran. Si bien qu’on n’avait pas assez d’essence pour rentrer et que la nuit tombait…etc. On s’arrêta dans un village mais bien qu’il y ait des voitures, personne ne voulut nous vendre de l’essence, même à prix fort. Nous, on trouvait pas ça drôle mais eux, si.
Alors Guillaume tout en conduisant se mit à agiter le scooter pour ramasser le plus d’essence possible au fond du réservoir. Ca devait être un sacré spectacle que de nous voir passer sur un scooter pouf-poufant, remuant des fesses comme des excités, se secouant l’un et l’autre à se demander ce qu’on pouvait bien faire tous les deux à s’énerver comme ça. C’était rock’n roll.
Quand enfin on a aperçu les lumières de Sal Rei, il ne devait même pas rester une goutte, même pas une vapeur, une odeur d’essence au fond du réservoir.