Dans le palais d’Udaipur ou dans celui de Jaipur, peut-être à Mehrangarh la forteresse de Jodhpur, je regardais des miniatures mogoles du dix-huitième siècle. S’y promenaient de profil de belles femmes à la peau claire, l’œil alangui bordé de longs cils, le nez fort et droit, l’oreille bien découpée, les cheveux longs et noirs soigneusement coiffés, une mèche ondulant avec mesure sur la tempe. Seules la couleur de la toilette et la position des membres permettaient de les distinguer les unes des autres. J’observais cette société délicate inventer des procédés raffinés pour passer le temps.
Puis je lève mon nez ni droit ni fort de sous mes cheveux décoiffés, balaye la salle de mes yeux si normaux qu’ils sont deux, et j’ai un choc car je vois devant moi en chair et en os, le modèle même de ces femmes de papier. A tel point qu’elle se présente de profil. La même peau, le même œil, le même nez, la même oreille, les mêmes cheveux, la même mèche. La seule différence est qu'au lieu d'un sari, elle porte un costume indien moderne, des sandales à talon dorées et un sac à main en bandoulière.
Jeune fille du vingt et unième siècle, elle incarnait un canon de beauté de trois siècles passés. La vie avait transmis dans ses gènes la beauté ancestrale des femmes de sa race et elle devenait dépositaire de cet héritage unique. Elle appartenait de tout son corps à son pays et à son histoire. Elle portait au front l’identité précieuse de son peuple.
Sentait-elle ce poids ?