Les touristes indiens
Au Fort Rouge de New Delhi, je m’assois sur un beau marbre blanc et je les regarde. Ils arrivent toujours en groupe, rarement en couple, jamais seul. Les femmes sont chatoyantes, les jeunes portent des jeans, les parents sont tout ronds. Ils déboulent dans un lieu, rieurs et bruyants, investissent tout l’espace en quelques secondes, se prennent mutuellement en photo devant le plus joli jardin, la plus remarquable peinture murale, la plus belle perspective – que masque le modèle fier et souriant -, puis repartent aussi vite qu’ils sont arrivés. De leur passage il ne reste rien qu’une vague agitation de l’air, un papier jeté sur le sol, un brouhaha décroissant. La poussière retombe.
Ils semblent ne regarder autour d’eux que pour trouver le meilleur endroit où prendre leur femme, leur famille, leurs copains en photo. Ils ne prennent aucune photo sans mettre devant leur femme, leur famille, leurs copains. Ils se suivent tous au même rythme soutenu sans jamais s’écarter de leur femme, leur famille, leurs copains. Ils sont joyeux, se foutent complètement du silence propice à la méditation, s’en vont vers l’avenir en mâchant du chewing gum et en buvant du pepsi, sans regret.
Moi qui n’ai plus ni certitudes ni objectifs, qui avance sans savoir où je vais, en me demandant même parfois si ça vaut la peine d’avancer, je m’arrête et je les regarde. Je peux les regarder pendant des heures, passer par vagues. Par toute cette joie, pour toute cette force inconsciente de vie, ils me fascinent.