L’entrée du Taj Mahal est scandaleusement chère. Comme le dit notre ami le vieil Indien de l’agence du coin, comment peut-on tant désirer voir un tombeau, visiter la mort ? Malgré cela, la queue est longue à toutes les portes du Taj.
Courageusement, j’accompagne Guillaume, qui ne l’a jamais vu. Il est tôt et la queue est raisonnable. Nous achetons nos places, puis nous suivons chacun notre file sexuelle. Les sacs sont fouillés, les corps aussi. Le guide nous a clairement averti de la longue liste des objets interdits, mais Guillaume a oublié de retirer une petite chaîne en aluminium avec laquelle il est susceptible de causer des dommages irréparables. Le voilà donc reparti à l’hôtel à côté pour l’y déposer.
Pendant ce temps, mon tour arrive et la jeune femme chargée de me tâter, découvre dans mon sac : un carnet, une trousse de crayons, une boîte de pastels, une boîte d’aquarelle et même une petite bouteille en plastique d’eau de couleur douteuse. Brusquement je tombe de mon nuage et subodore une complication. J’explique que je suis artiste, je montre des exemples dans mon carnet, elle me regarde bien embêtée. Elle m’explique que je ne peux pas entrer avec mes affaires. J’insiste, il ne s’agit pas d’un appareil photo ni d’une caméra, et ce matériel est inoffensif. Non ce n’est pas possible. Très bien, alors je n’entre pas.
Et là, se passe une chose qu’il ne peut se passer qu’en Inde : il n’est pas concevable que je ne visite pas le Taj. Mon interlocutrice est visiblement ébranlée. Elle fait venir le grand chef de la sécurité, un vieux militaire coincé comme un manche à balai dont je comprends très vite qu’il va faire des prouesses pour bloquer la situation. Alors elle a une idée qu’elle me confie avec les yeux brillants de qui va enfin résoudre un problème important : je laisse mon matériel à l’entrée, je visite le Taj, et en sortant, j’achète une jolie reproduction.
Je ne ris pas car je reconnais là l’Inde et pour cela aussi je l’aime. Mais bon, ça ne va pas être possible et malgré une seconde intervention toute aussi efficace du pépé militaire, je sors de la file et entreprends de retourner à la caisse pour me faire rembourser la fortune que représente mon ticket d’entrée.
C’est à ce moment que j’arrête de rigoler. Car la caisse refuse de me rembourser, les militaires refusent de me laisser entrer, aucune des deux parties ne veut dialoguer, et la moutarde me monte au nez. Quand Guillaume revient, il me trouve fort énervée, en train de fulminer devant deux têtes de bois, entourée d’un groupe croissant de spectateurs passionnés par l’issue de l’histoire, les premiers arrivés racontant la trame dramatique aux retardataires. Par solidarité avec les artistes, il refuse d’entrer à son tour et la situation se complexifie : il faut rembourser deux tickets.
Et c’est encore l’Inde, quand brusquement sort d’on ne sait où un gentil Indien tout soucieux de me voir mécontente, qui n’a de cesse de comprendre la situation puis de trouver une solution. Il se met en quatre et lorsqu’il revient avec le remboursement, il a aux lèvres un sourire heureux qui me fait sourire.
Ami soyez remercié de votre amabilité.