Avant, c’était des chemises blanches, les chemises blanches d’un homme élégant.
Elles ont jauni, jauni de sueur et de stress dans un monde dur où il faut savoir gagner.
Elles ne sont plus impeccables, elles ne sont plus dignes d’habiller un cadre, elles trahissent la faiblesse et le doute.
Quand je les ai récupérées, elles ont résisté à la déchirure : elles s’estimaient de bonne qualité, de bonne marque, de bonne éducation. Elles se tenaient roides, nettes et sans pli. La charpie, pour elles, est une déchéance.
Elles ne sont plus repassées, elles sont repassées dans une autre vie.
Et pourtant
Elles n’ont pas perdu leur beauté. Leur matière se maintient ferme et drue. Dressée.
L’aiguille de la couturière pénètre ce corps d’homme. Dans tous les sens, le transperce, le possède, l’enserre, le construit. Evidemment la masculinité de la matière se rebelle, et malgré le dé, les doigts de la couturière saignent.
Le fil est blanc qui retient la chair ; puis trempé de rouge, il se gorge de sang, irrigue la peau blême qui se tache, devient rose, douloureuse, vivante.
Je travaille dans l’odeur de cet homme, le parfum de sa peau resté dans la propreté des chemises blanches. Je travaille dans le souvenir de son corps.
195# 2010 Choses en charpie (1) : le drap rose pâle - Ariane
hauteur totale : 86 cm
hauteur du personnage : 55 cm
largeur : 18cm